Raphaël Zarka: Sculpture Gnomonique

4 Novembre - 23 Décembre 2022
  •  Raphaël Zarka 

    À l’heure des formes

     

    Le public qui passe la porte cochère du 79 rue du Temple, où se trouve la galerie Mitterrand, pourra apercevoir sur la partie supérieure de la façade de l’hôtel de Montmort, un cadran solaire du XVIIe siècle. Celles et ceux qui entreront ensuite dans l’espace d’exposition de la galerie, découvriront quelques autres de ces instruments de mesure du temps, sans avoir cette fois à lever les yeux. Avec « Sculpture Gnomonique », Raphaël Zarka conduit le public dans un singulier observatoire constitué de cadrans solaires du XVIIe siècle français et britannique. Ceux-ci ont perdu toute fonction de gnomons en subissant une métamorphose sculpturale et picturale. Ce lieu parisien qui, dès 1641, fut le lieu de réunions scientifiques, à l’origine de l’Académie des sciences, organisées par Henri-Louis Montmort, propriétaire de la fameuse lunette astronomique de Galilée, n’est-il pas lieu rêvé pour donner une nouvelle fortune à ces instruments scientifiques qui nous relient au cosmos ? Si le passé scientifique de l’endroit n’est pas pour déplaire à Zarka, son inclination pour l’histoire des sciences et de l’astronomie n’est pas récente. C’est au cours de ses enquêtes engagées depuis 2001 au sujet des rhombicuboctaèdres[1], solide d’Archimède dont la complexité formelle le fascine, que Zarka fait la découverte d’énigmatiques cadrans solaires dans la campagne britannique et sur les monts vosgiens, point de départ de la série des sculptures gnomoniques


    [1] Le rhombicuboctaèdre est un polyèdre à vingt-six faces (constitué de huit triangles et dix-huit carrés). Zarka en a recensé plus de 200, rassemblés dans le Catalogue raisonné des rhombicuboctaèdres, qui connaît en 2019 sa cinquième édition.

  • Deux nouveaux spécimens de monuments gnomoniques sont venus élargir le répertoire de l’artiste : Woodhouselee (2022) a pour source un... Deux nouveaux spécimens de monuments gnomoniques sont venus élargir le répertoire de l’artiste : Woodhouselee (2022) a pour source un... Deux nouveaux spécimens de monuments gnomoniques sont venus élargir le répertoire de l’artiste : Woodhouselee (2022) a pour source un...
    Deux nouveaux spécimens de monuments gnomoniques sont venus élargir le répertoire de l’artiste : Woodhouselee (2022) a pour source un cadran solaire écossais autrefois installé dans les jardins du Château de Woodhouselee tandis que L’Oisellerie (2022) provient du Château de l’Oisellerie en Charente. Les deux instruments originels, à la fois sculptures ornementales et objets fonctionnels, ont pour dénominateur commun d’être en pierre et constitués d’une imbrication de polyèdres recouverts sur leur surface de mystérieux motifs semblant ressortir à une manière de langage ésotérique (cercles, cœurs, triangles, croix, trapèzes). Avec ces deux nouvelles sculptures, le bronze s’est substitué à la pierre. Toute fonctionnalité a disparu mais la forme est identique aux cadrans d’origine. Zarka évite toutefois de produire de purs simulacres en chargeant ses sculptures d’une autre référence : leur socle est en effet la reproduction en chêne et pierre calcaire d’un cadran solaire anglais de la même époque.
  • Comme les rhombicuboctaèdres, les monuments gnomoniques traqués par l’artiste appartiennent à l’histoire des formes en même temps qu’à l’histoire des... Comme les rhombicuboctaèdres, les monuments gnomoniques traqués par l’artiste appartiennent à l’histoire des formes en même temps qu’à l’histoire des... Comme les rhombicuboctaèdres, les monuments gnomoniques traqués par l’artiste appartiennent à l’histoire des formes en même temps qu’à l’histoire des...

    Comme les rhombicuboctaèdres, les monuments gnomoniques traqués par l’artiste appartiennent à l’histoire des formes en même temps qu’à l’histoire des sciences, et portent en eux l’ambivalence constitutive du vocabulaire de Zarka : ses sculptures proposent un constant va-et-vient entre la forme et l’histoire, entre la pure plastique et la référence qui médiatise la précédente. De même avec Abstraction gnomonique n°11 (2020), une peinture monumentale donnant à voir la transformation des diverses formes gravées dans la pierre des cadrans en motifs colorés, maintenant aléatoirement répartis sur un fond noir sur lequel ils apparaissent comme les astres d’une constellation. L’art de Zarka vaudrait de nous adresser avec subtilité un double rappel : l’histoire produit de pures formes ; les formes pures ont une histoire.

  • Cette dualité trouve à nouveau à s’affirmer avec Great Fosters 1 et 2 (2022), Woodhouse Lee 1 et 2 (2022),... Cette dualité trouve à nouveau à s’affirmer avec Great Fosters 1 et 2 (2022), Woodhouse Lee 1 et 2 (2022),... Cette dualité trouve à nouveau à s’affirmer avec Great Fosters 1 et 2 (2022), Woodhouse Lee 1 et 2 (2022),...
    Cette dualité trouve à nouveau à s’affirmer avec Great Fosters 1 et 2 (2022), Woodhouse Lee 1 et 2 (2022), Fombrauge 1 et 2 (2022) ou encore Lavaur (2022) qui, à l’instar des Abstractions gnomoniques, offrent aux monuments modèles un destin bidimensionnel. Chaque dessin est réalisé à partir de dizaines de fragments de carton, découpés au laser et peints à l’encre brune, safran ou ocre, qui une fois assemblés, telle une marqueterie, reconstituent le cadran solaire représenté selon les règles de la perspective parallèle ou axonométrique. La marqueterie, technique associée aux arts décoratifs, devient chez Zarka le support de la représentation d’un objet appartenant à l’histoire scientifique. Ici encore la forme et l’histoire jouent ensemble. Il n’y a sans doute pas lieu de s’étonner devant l’usage ici fait de la marqueterie : si la marqueterie est liée à l’ornement, elle a joué un rôle essentiel dans le développement de la perspective à la Renaissance ˗ marqueterie et perspectiva artificialis partageant un commun souci de géométrisation de l’espace.
  • Avec les Études pour une forme quelconque (d’après Sebastiano Serlio) (2020) et les Suites serliennes (2022), la marqueterie laisse place au fusain non plus pour célébrer la pensée perspectiviste de l’architecte du Cinquecento Sebastiano Serlio mais bien davantage la simplicité de certaines de ses formes loin de toute complexité mathématique, dans un ensemble de grands dessins abstraits représentant, sur fond ocre[1], des fragments de diagrammes puisés dans son Livre de la Géométrie (1545). La perspective est définitivement oubliée et le temps s’est arrêté dans la peinture murale (La lumière qui s'en va, la lumière qui revient, 2022), réalisée par le duo Hippolyte Hentgen[2] que Zarka a invité à intervenir dans son exposition. L’œuvre représente les motifs décoratifs du cadran solaire écossais morcelés dans un tracé simplifié sur un fond à l’effet moiré qui joue avec l’aspect velouté du fusain de la Suite Serlienne.
    En sortant de l’exposition, tout imprégné du formalisme référencé[3]  de Zarka, il y a fort à parier que le public ne regardera plus de la même manière le cadran solaire du 79 rue du Temple.

     

    Marjolaine Lévy

     


    [1] Ces fonds sont le résultat du frottement de fragments d’architecture (tuiles) et de céramiques gallo-romaines sur le papier. Cet ensemble d’objets morcelés que Zarka transforme en outils proviennent du site archéologique de Lattara (Lattes, près de Montpellier), collectés dans le cadre d’une résidence en 2018, et qui a donné lieu à l’exposition « Spolium » (cur. Nicolas Bourriaud et Diane Dusseaux).

    [2] Nées en 1977 et 1980, Gaëlle Hippolyte et Lina Hentgen vivent et travaillent à Paris. Ce n’est pas la première fois que Zarka invite des artistes à produire une peinture murale dans ses expositions. Depuis 2016, Zarka et le peintre anglais Christian Hidaka imaginent des projets d’exposition communs où les sculptures de l’un dialoguent avec les fresques de l’autre.

    [3] À propos de son œuvre, Zarka parle lui-même de « formalisme contrarié et d’une approche historicisée des formes », C. Gallois, « Entretien avec Raphaël Zarka », Paris, B42, 2012, p. 200

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